Chez Jules
Quand on allait Chez Jules
Le temps se suspendait
Noisettes et cafés
S’enchaînaient au comptoir
Ou sur les tables usées
L’échiquier sortait et les pièces glissaient
Fous noirs Cavaliers blancs
Et le temps ralenti
S’étirait en journées
Jules le patron
Qui se nommait André
Baladait sur le zinc
Sa gueule hallucinante
De vieux clope trop fumé
Les plateaux de p’tis noirs
Poussaient sur les tables
Les cendars débordant
De rêves enfumés
Peu de Dames là-bas
Nous n’étions que des Rois
Pour faire danser le Roque
Aux Tours de bois poli
Nous n’étions que des Fous
Qui conquérions le monde
En oubliant souvent
L’heure des cours de Droit
Les théorèmes matheux
Ou les Sciences-éco
Mais que le monde est vaste
Quand il tient tout entier
Sur un carré de huit
Que des Pions se disputent
La rue de l’Université
Etait en pente abrupte
Mais jamais je n’ai su
Dans quel sens elle montait
Ce vieux bistrot miteux
C’était ma Maison bleue
Mes Havres Gris
Et mon ivresse
Plus loin un bouquiniste
Echoppe d’un autre âge
Empilait pêle-mêle
Ses vieux livres et mes rêves
Fleuve Noir et S.F.
L’Âge d’or côtoyait
Quelques romans de gare
Le troquet fut vendu
Qu’est-il donc devenu
Un lounge ou un restau
Bien moderne et propret
L’estaminet n’est plus
Adieu donc les copains
Depuis longtemps perdus
Les cafés
L’échiquier
Les années ont glissé
Mais du mauvais côté
Le temps Fou triomphe
De mes blancs Cavaliers
"La sueur des cargos" aux éditions EDILIVRE http://www.edilivre.com/la-sueur-des-cargos-230020bf85.html#.ViviSoR1Sps