Les échecs toute une histoire (8)

Les échecs toute une histoire (8)

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Origine orientale

Les Arabes font connaissance avec le jeu. Ils s'y adonnent avec passion et étendent sa pratique au fur et à mesure de leurs conquêtes. Vers l'ouest, le jeu traverse le Maghreb et la Méditerranée pour parvenir dans l'Espagne musulmane et atteindre l'Occident chrétien à la fin du Xe siècle37. Il existe des jeux d'échecs différents, persans (chatrang), indiens (chaturanga), arabes (shatranj), mongols (shatar), européens, birmans (sit-tu-yin), thaïs ou cambodgiens (makruk), malais (catur), chinois ou vietnamiens (xiangqi), coréens (Janggi), japonais (shogi), etc. Tous ces jeux partagent un ensemble de traits qui renvoient à une véritable préhistoire puisqu’il n’existe aucun témoignage direct et sans équivoque du supposé ancêtre commun.

Si la naissance même du jeu reste encore obscure et controversée38, on peut au moins affirmer que les échecs sont un jeu asiatique. Trois ensembles géographiques posent leur candidature au titre de berceau du roi des jeux :

  • l’Inde du Nord, du Cachemire à la haute vallée du Gange, en passant par le Sind et le Pendjab, le bassin de l’Indus (aujourd’hui largement au Pakistan) ;
  • la Chine historique, c’est-à-dire le bassin du fleuve Jaune et peut-être celui du Yangzi Jiang, plus au sud ;
  • la grande sphère iranienne entre les deux, les pays traversés par l’antique route de la soie : la Perse mais aussi le Gandhâra, la Bactriane, le Khwarezm, la Sogdiane, la Sérinde, soit l’Asie centrale de l’Iran et de l’Afghanistan au Xinjiang. Linguistiquement et culturellement, ces régions se rattachaient à la sphère iranienne.
Jeu d'échec du XIXe siècle à Java, (musée de Grenoble).

L'Inde est généralement l'hypothèse la plus suivie. Elle a pour elle la tradition puisque même les premiers textes persans et arabes affirmaient que les échecs étaient venus d'Inde. Cependant, les traces historiques prouvant cette origine manquent. L'Asie centrale iranienne au contraire reste la terre des premiers témoignages comme des plus anciennes trouvailles archéologiques. Enfin la Chine revendique aussi le titre de berceau de ce jeu et s'il est vrai que les premiers témoignages confirmés sont tardifs en Chine, il existe des sources certes floues mais plus anciennes que les plus anciennes sources perses ou sanscrites (qui datent de l'époque 600 à 650 apr. J.-C.).

Dans l'état actuel des connaissances, il est difficile de trancher.

Une autre croyance très répandue est l'idée que les premiers échecs auraient été inventés (dans ce cas, c'est toujours en Inde) sous la forme d'un jeu se jouant à quatre joueurs et avec l'aide de dés. Vers l'an 600, des Indiens ou des Perses auraient éliminé les dés et regroupé les camps pour n'en faire que deux. Cette hypothèse est très certainement fausse. La plus ancienne mention connue du jeu à quatre date de 1030, soit quatre siècles après la mention du jeu à deux. Tout concourt à penser que ce chaturanga à quatre, appelé chaturaji, constitue une variante du chaturanga ou chatrang à deux et non le contraire39.

Le mot sanskrit chaturanga, qui a donné chatrang en pehlevi (moyen persan), signifie quatre membres et désignait à l'origine l'armée épique indienne avec infanterie, cavalerie, éléphanterie et chars de combats. Ces pièces, avec un roi et son conseiller (ministre ou général) formaient l'ensemble des pièces du jeu, très semblables à celui d'aujourd'hui. Chaque joueur maniait 16 pièces sur un tablier de 64 cases, de couleur unique.

Diffusion

Lorsque les Arabes envahissent la Perse, ils l’adoptent sous le nom de shatranj. Dans son Kuzari (en arabe), Juda Halevi en parle sous le terme arabe shtaranj. Dans sa traduction hébraïque du Kuzari, Juda ibn Tibbon traduit par « le jeu des échecs », et ajoute « appelé shtaranj en arabe »40. Les échecs connaissent alors un développement remarquable, se répandant en suivant les conquêtes de l'islam. C’est au cours des IXe et Xe siècles qu’apparaissent les premiers champions et les premiers traités. On retrouve alors :

  • le roi (Shâh, c'est lui qui donne son nom au jeu) se déplace d’un pas dans toutes les directions ;
  • le conseiller (Farzin ou vizir) dont le mouvement est limité à une seule case en diagonale ;
  • l’éléphant (Fil, cf. sanskrit pīlu qui donnera « fou ») avec un déplacement correspondant à un saut de deux cases en diagonale ;
  • le cheval (Faras), identique au cavalier moderne ;
  • le char (Roukh), identique à la tour actuelle ;
  • le soldat (Baidaq, cf. sanskrit padāti : piéton, fantassin), l’équivalent du pion, mais dépourvu du double pas initial.

Le Roukh était parfois représenté comme un char de guerre. Les Arabes y voyaient un général commandant l’armée. Mais son sens littéral reste obscur. Il semble que pour les Arabes, ce mot n’avait pas d’autre sens que celui de désigner cette pièce au Shatranj, un peu comme le mot rook pour les anglophones aujourd’hui. Le lien étymologique avec le sanskrit ratha : char est peu évident.

Arrivée en Europe et évolution

Manuscrit (c.1320)

Les échecs arrivent en Europe sans doute peu avant l'an milG 14 par l’Espagne musulmane ou par l’Italie du Sud (Sicile)41.

Une légende a longtemps attribué un jeu d'échecs à Charlemagne qui l'aurait reçu de la part du calife Hâroun ar-Rachîd, mais on pense aujourd'hui qu'il fut fabriqué postérieurement près de Salerne à la fin du XIe siècle42.

La plus ancienne mention du jeu d'échecs en Occident se retrouve dans le Versus de Scachis, un poème latin vraisemblablement composé entre 900 et 950 dans le Nord de l'Italie43. En 1010, un testament du comte d'Urgel, en Catalogne, le mentionne. De nombreuses pièces d'échecs ont été retrouvées lors de fouilles sur le site des chevaliers-paysans du lac de Paladru (Isère), site qui a été abandonné au plus tard en 1040. Le Libro de los juegos écrit en Espagne entre 1251 et 1283 et illustré de nombreuses miniatures, expose les règles du jeu au XIIIe siècle.

Problème d'échecs no 35 du Libro de los juegos

Dès son arrivée dans la chrétienté, l’échiquier et les pièces s'occidentalisent progressivementG 15 :

  • le plateau devient bicolore avec les cases rouges et noires (qui deviendront plus tard blanches et noires) ;
  • le vizir devient fierge (ou vierge), puis reine et/ou dame (il est difficile de déterminer lequel des deux termes prévalait — sans doute étaient-ils utilisés indifféremment) ;
  • l'éléphant (al fil en arabe, qui reste alfil en espagnol aujourd'hui) devient aufin, puis fou (bishop : évêque en anglais) ;
  • le roukh arabe devient roc (ce nom donnera rook en anglais, le verbe « roquer » en français et désignera la tour d'échecs en héraldique), puis tour vers la fin du XVIIe siècle (les tours de guet étant souvent placées en hauteur).

Dans certaines régions d'Europe, le double pas initial du pion est pratiqué. Certaines règles permettent au roi ou à la reine (ou dame) d'effectuer un saut à deux cases (sans prise) à leur premier mouvement. Ceci constitue la différence principale avec les règles du Shatranj des pays musulmans44. Mais l’évolution la plus importante a lieu à la fin du Moyen Âge, après 1470, en Espagne ou en Italie, lorsque les mouvements limités de la reine (ou dame) et du fou sont remplacés par ceux que nous connaissons actuellement44.

Les joueurs de cette époque nomment ces nouvelles règles : « eschés de la dame » ou « jeu de la dame enragée »45.

Les plus anciens manuscrits conservés relatifs à ces évolutions sont le manuscrit de Göttingen et le Scachs d'amor. Le premier traité imprimé reflétant ces innovations est généralement attribué à Francesc Vicent, publié en 1495 à Valence, mais il est aujourd'hui perdu. Le deuxième, attribué à Lucena, nous est parvenu.

Pour parer aux effets dévastateurs des pièces aux pouvoirs renforcés, le roque est inventé vers 1560 et, progressivement, il remplace le saut initial du roi ou de la reine (la dame) qui deviennent obsolètes44. On peut considérer que les règles du jeu moderne sont à peu près établies vers 1650. Si les premiers livres traitant des échecs remontent à l'époque arabe (dans le Kitab-al-Fihrist d'Ibn al-Nadim), la stabilisation des règles en Europe donne naissance à une littérature théorique très riche et on observe notamment l'élaboration des premiers systèmes d'ouverture[pas clair].