GM Paul Keres

Paul Keres a été cinq fois champion d'Estonie et trois fois champion soviétique. Bien qu'il n'ait jamais disputé un match pour le titre suprême, il est considéré comme l'un des meilleurs joueurs à ne jamais être devenu champion du monde. Il s'est approché de la couronne au plus près en 1948 quand elle était encore attribuée par le biais d'un fort tournoi fermé dans lequel il prit la 3ème place. 

• Début de vie et de carrière
• Championnat du Monde de 1948
• Présence aux Candidats
• Fin de carrière
• Héritage

Début de vie et de carrière

Keres naît à Narva, en Estonie (plus tard Empire russe puis Union soviétique) en 1916. Son frère Harald deviendra un physicien renommé alors que les échecs apparaissent comme une évidence pour Paul. A l'âge de 19 ans, il est déjà champion d'Estonie, après avoir beaucoup développé son jeu à travers des parties par correspondance. En voici une portée sur l'attaque qui se termine par un mat pittoresque en 1931 :

Gagner le championnat d'Estonie pour la première fois en 1935 est l'élément déclencheur de la carrière de Keres. Il représente le premier échiquier de son pays aux Olympiades de 1935 avant de s'aventurer sur le circuit international. 

En 1937, il remporte en solitaire ou ex-equo les tournois de Tallinn, Margate, Ostende, Prague, Vienne et Semmering/Baden, le dernier de cette liste sur le score +6 -2 =6 dans un double ronde, un point devant Reuben Fine, Jose Capablanca, Samuel Reshevsky, et Salomon Flohr.

Les succès de Keres cette année là le conduisent jusqu'à sa victoire en 1938 dans ce qui est peut-être le plus fort tournoi de tous les temps. Disputé a Pays-Bas, le tournoi AVRO voit s'affronter Mikhail Botvinnik, Max Euwe, Alexander Alekhine en plus de Fine, Capablanca, Reshevsky, et Flohr. Keres ne concède pas la moindre défaite et bat Reshevsky, Capablanca et Fine (ci-dessous), son score de 8.5/14 lui permet de partager la première place avec Fine mais Keres l'emporte au départage.

Après cet événement, Keres et Alekhine commencent les négociations pour organiser un match de Championnat du Monde mais la Seconde Guerre mondiale éclate et met fin à ce projet.

Championnat du Monde de1948

Bien que le tournoi AVRO ait eu lieu en 1938, la Seconde Guerre mondiale perturbe tellement la scène internationale des échecs que ses résultats demeurent déterminants pour l'attribution des places au tournoi de Championnat du Monde qui a lieu une décennie plus tard. En raison de la mort du tenant du titre Alekhine pendant cette période, le système de matchs n'est pas viable, aussi la FIDE, en place depuis 1924 mais sans jamais tenir un tel rôle, décide d'organiser un tournoi à la place.

Sur les six joueurs survivants d'AVRO (Capablanca étant également décédé), cinq sont invités au tournoi de 1948 et quatre y prennent part : Keres, Botvinnik, Euwe et Reshevsky. Vasily Smyslov remplace Flohr tandis que Fine refuse de participer. Le format choisi est un toutes rondes dans lequel chaque joueur s'affrontera 5 fois !

Keres commence par quatre parties décisives mais autant de victoires que de défaites. Il réalise de nouveau la moyenne dans les 4 parties suivante en battant Smyslov pour la deuxième fois et en s'inclinant encore contre Botvinnik. Keres obtient enfin un score positif dans la session de parties 9 à 12, avec deux victoires et une défaite (encore contre Botvinnik).

La session de parties 13 à 16 condamne les espoirs de titre de Keres, malgré sa victoire contre Euwe (qui, avec le seul score négatif, est le punching ball métaphorique du tournoi) mais s'incline contre ses 3 autres adversaires. Keres se retrouve donc à +0 -4 =0 contre Botvinnik, véritable bête noire qui domine le tournoi. Keres lève enfin la malédiction dans la session finale mais il est déjà trop tard, grâce à son score final de +8 -7 =5, Keres termine à 10.5/20, à égalité avec Reshevsky mais un demi-point derrière Smyslov et 3½ points derrière Botvinnik.

Ce tournoi soulève beaucoup d'interrogations. À commencer par pourquoi Keres souffre-t-il autant contre Botvinnik ? Des rumeurs persistantes soufflent qu'il était en réalité contraint de perdre contre Botvinnik, mais rien n'a jamais été prouvé. Keres aurait tout aussi bien pu être dépassé. Botvinnik a affirmé dans les médias occidentaux que seul la qualité de son jeu a fait la différence. Contrairement à Botvinnik, qui vivra jusqu'en 1995, Keres ne survit pas à la guerre froide, nous ne connaîtrons donc jamais sa version de l'histoire.

Présence aux Candidats

Par la suite, la FIDE établit un cycle de Championnat du Monde de 3 ans comprenant Interzonaux et tournoi des candidats auxquels Keres prend part régulièrement. Malheureusement, il échoue très souvent tout proche de décrocher sa place pour disputer un match pour le titre.

En 1962, il frôle la qualification avec une deuxième place ex-equo à seulement un demi-point du vainqueur Tigran Petrosian. Il s'agit alors de sa quatrième seconde place consécutive, une série difficile à avaler bien qu'il ait été à au moins 1½ point du premier dans les trois autres cas.

Les résultats de Paul Keres aux Candidats, 1950-1965 :

Keres, Petrosian et Efim Geller annulent toutes leurs parties ensemble au tournoi des Candidats de 1962. Peu après, Bobby Fischer les accuse de former en alliance. Contrairement aux allégations de 1948, il semble que le trio s'économise volontairement afin de se concentrer sur les autres parties d'après les récits de Yuri Averbakh et d'autres. On suppose que l'âge de Keres joue un rôle fondamental dans cet accord tacite afin de conserver suffisamment d'énergie pour la totalité du l'événement (il a 46 ans, Geller 37 et Petrosian 33.) Néanmoins, Keres aurait pu gagner le droit de défier Botvinnik en 1963 en faisant preuve de plus d'agressivité dans son jeu.

En raison de la controverse de 1962, le format des Candidats est changé pour une série de matchs à partir de 1965, mettant fin au rôle d'éternel dauphin de Keres qui s'incline en quart de finale face à Geller.

Fin de carrière

L'ultime tournoi des Candidats de la carrière de Keres a lieu en 1965. Il continue ensuite de jouer en compétition et avec succès jusqu'à la toute fin de sa vie.

Keres remporte son tout dernier tournoi à Vancouver, au Canada. Au cours de son voyage pour rentrer en Estonie, Keres est victime d'une crise cardiaque et s'éteint le 5 juin 1975, il n'a alors que 59 ans. (Son frère Harald, le physicien, vivra jusqu'en 2010, soit 98 ans.)

Héritage

De son brillant tournoi de 1937 jusqu'à sa quasi qualification au Championnat du Monde via les Candidats de 1962, et même lors de la décennie suivante, Keres rayonne sur la scène international parmi les meilleurs joueurs de l'élite. Il a affronté dix champions du monde et en a battu neuf, de plus il détient un score positif contre trois et l'égalité contre trois autres, il ne lui manque que ce titre.

D'un point de vue stylistique, Keres a un jeu porté vers l'attaque qui s'illustre dès son adolescence, notamment à travers ses parties par correspondance. Son agressivité est restée sa principale force durant la majorité de sa carrière mais elle ne pouvait à elle seule suffire à lui garanti le succès qui fut le sien (voir par exemple sa victoire sur Fine à AVRO.) Néanmoins, ses parties d'attaque constituent les plus spectaculaires de son répertoire comme l'annihilation de Laszlo Szabo en 1955 :

Keres était aussi un auteur d'échecs à succès, écrivant le recueil de ses parties en 1972 intitulé Grandmaster of chess (Grand Maître d'échecs) et co-auteur de The Art of the Middle Game (L'art du milieu de partie) avec Alexander Kotov.

Keres reste une figure populaire en Estonie, et ce pour d'excellentes raisons. Chaque année, un tournoi est joué en sa mémoire à Tallinn (et à Vancouver). Les joueurs d'échecs de tous les horizons devraient se souvenir de sa carrière et de ses parties mémorables.