Championnat du monde, partie 2 : Carlsen arrache la nulle face à un Caruana ultra-préparé
Quelques heures avant le 11 novembre, les deux meilleurs joueurs du monde signait l'armistice au terme de la seconde du championnat du monde d'échecs 2018. Après une bataille de sept heures dans la première, il n'a cette fois fallu que 3h30 aux deux hommes pour conclure.
Mais des similarités étonnantes sont tout de même à noter entre les deux parties : Encore une fois, les noirs ont été les principaux agresseurs, obtenant une finale de tours favorable avec un pion en plus. Mais le challenger n'a pas insisté plusieurs heures dans une position nulle comme l'avait fait son adversaire la veille.
De nombreux observateurs s'attendaient à voir Fabiano Caruana sortir des idées intéressantes dans les ouvertures, et ce fut le cas aujourd'hui. | Photo : Mike Klein/Chess.com.
Erratum : Contrairement à ce que nous annoncions en introduction hier, Caruana nous a fait remarquer qu'il n'était pas si simple de trouver de quoi se nourrir tard le soir à Londres !
Côté échecs, Carlsen a du travailler dur dès l'ouverture, notamment après le coup 10...Td8, sur lequel il a réfléchi 17 minutes. Pourtant, il connaissait jusque là la position, qu'il avait clairement identifié comme celle jouée en 1978 entre Anatoly Karpov et Viktor Korchnoi.
En effet, à Baguio, cette année là, les deux hommes avaient obtenu cette position trois fois, à chaque fois avec Karpov du côté noir. Le champion avait joué deux fois 10...Fe7 et annulé, et une fois 10...Te8 avec un fantastique sacrifice de cavalier qui était l'oeuvre de Mikhail Tal lui-même (il était alors le secondant de Karpov) !
Carlsen a reconnu "une vrai similitude" entre la partie du jour et le choc ressenti par Korchnoi en 78. Et la différence générationnelle n'a rendu l'épreuve traversée par Magnus que plus difficile, car, comme il l’expliquait en conférence de presse, il a aujourd'hui lutté contre la puissance de l'ordinateur plutôt que contre l'ingéniosité humaine.
Magnus Carlsen a beau se retourner, personne ne va lui venir en aide. Comment contrer 10...Rd8 ? | Photo : Mike Klein/Chess.com.
A l'époque, Korchnoi avait survécu à la nouveauté de Karpov, remportant même la partie. Et cette position est toujours parfaitement en adéquation avec la théorie moderne. (Hikaru Nakamura a joué 10...Fe7 contre Sergey Karjakin cette année au Saint Louis Rapid & Blitz, obtenant la nulle.)
Malgré son érudition, Carlsen ne connaissait que les coups 10...Re8 et 10...Fe7. Mais Caruana a sorti le beaucoup plus rare 10...Td8, ce qui a déclenché la première grosse réflexion du norvégien. Le champion du monde a même reconnu en conférence qu'à la vue de ce coup, sa réaction intérieure avait été digne de Cambronne.
Les deux joueurs sont tombés d'accord pour reconnaître que 11.Cd2 était la réponse critique, mais Carlsen a choisi une voie plus prudente. Pourtant, quelques coups plus tard, il devait s'employer pour tenir la nulle après une légère imprécision.
"15.Ce5 est une erreur de calcul. J'ai tout simplement raté 15...Fd6." a-t-il reconnu.
Carlsen a alors accepté de ravager sa structure de pions pour échanger des pièces et atteindre une finale de tours inférieure mais théoriquement nulle. Sa position n'était certes pas aussi désespéré que celle de Caruana hier, mais les deux joueurs ont désormais fait l'expérience d'être moins bien avec les blancs.
"J'ai l'impression que c'est une tendance des échecs modernes : les noirs ont plus de liberté de mouvement". a commenté Caruana à ce sujet. Le challenger a également ajouté que l'aide des ordinateurs aidait les ouvertures à trouver de nouvelles voies et évitait aux parties d'être répétitives. "Les nouvelles variantes sont légions, il y a beaucoup de liberté créative."
Carlsen a également mentionné en conférence de presse le spectaculaire 17.Cxf7?!
"J'ai parfois des velléités agressives ! Mais je n'ai pas réussi à faire marcher ce coup. Je me suis donc dit qu'il serait plus intelligent de choisir le voie prudente." a commenté le champion du monde.
Caruana avait également vu ce coup et ne l'avait "pas identifié comme problématique." Il a ajouté avoir plusieurs réponses jouables à sa disposition.
Voici ce qu'en pense Alex Yermonlinsky (en anglais) :
Bien qu'il ait été surpris par le dixième coup de son adversaire, Carlsen ne craint pas, en général, de devoir sortir des sentiers battus. "Mon adversaire ne veut pas suivre les grandes lignes théoriques, ce qui n'est finalement pas si surprenant." a-t-il ajouté.
Caruana et Danny King lors de la conférence de presse. | Photo : Mike Klein/Chess.com.
Malgré le manque de chances de gain, le champion du monde avait cette fois mieux préparé sa partie. En effet, après avoir eu froid la veille, il avait aujourd'hui prévu une petite laine !
"Je pense que si les joueurs ont froid, ce n'est pas bon pour le jeu." a-t-il déclaré.
Puisqu'on parle de météo, il a encore plu ce samedi à Londres. Et encore une fois, l'expérience du champion du monde a payé.
Voyez plutôt l'état de la veste de Caruana :
Un petit problème d’étanchéité, Fabiano ? | Photo : Mike Klein/Chess.com.
Et admirez la technique Carlsen ! Après trois matchs de championnat du monde, il a traversé suffisamment de tempêtes pour savoir comment s'y prendre !
Peter Heine Nielsen est le plus grand de l'équipe, on imagine donc qu'il pourrait porter le parapluie, pas vrai ? Eh bien non ! Chez les Carlsen on traite bien les secondants ! | Photo : Ole Kristian Strøm/VG.
Toujours en parallèle du match, l'organisation a rencontré ce samedi un problème de taille. Selon le PDG de World Chess Ilya Merenzon, plus de 250 tickets ont été vendus pour la journée (environ 300 d'après ses estimations).
Par conséquent, les personnes ayant payés leur ticket, qui coûte tout de même 70£, n'étaient autorisés à accéder à la zone de jeu que pendant 30 minutes. Il était ensuite éventuellement possible d'y revenir 30 minutes de plus dans la limite des disponibilités, et l'accès était illimité à partir de 18 heures, soit au bout de trois heures de jeu.
"C'est parce que la capacité d’accueil du bâtiment est limité par la loi." a justifié Merenzon. "Certains jours, surtout le week-end, nous avons vendu toutes les places. Nous proposons donc aux visiteurs de se relayer par sécurité."
Il a ajouté que la situation était la même à New York en 2016. (en réalité, la salle spectateurs ne comportait alors pas de chaises, et son accès était limité à 15 minutes par personne les jours d'affluence). Cependant, contrairement à New York, 50 sièges sont cette fois disponibles pour suivre les commentaires en direct, ce qui n'était pas possible en 2016.
Le PDG de World Chess Ilya Merenzon (à gauche) est venu expliquer sa décision aux média. | Photo : Mike Klein/Chess.com.
"Vendre des tickets pour une partie d'échecs est très différent des autres sports car ici, les parties sont si longues que les spectateurs ne restent pas pendant tout l'événement". a-t-il ajouté. "C'est certes un désagrément, mais nous nous sommes aperçus à New York que les spectateurs ne restaient en moyen que pendant 8% de la partie."
Les petits caractères figurant au bas du ticket imprimé mentionnent effectivement que l'organisateur se réserve le droit de fragmenter le temps de visiter, mais cette limitation n'est pas évoquée à l'achat du ticket lui-même.
Merenzon a ajouté que la décision de proposer aujourd'hui des fenêtres de 30 minutes était la sienne. Il s'est justifié en expliquant qu'il avait du faire un compromis entre la taille de la salle et sa localisation. En effet, d'autres lieux plus grands étaient disponibles, mais trop éloignés selon lui du centre de Londres. Ce n'est pas le premier problème d'espace rencontré par ce championnat du monde. Le premier jour, la grande majorité de la presse échiquéenne (Chess.com compris) n'a pas été invité à la cérémonie d'ouverture. En outre, la salle de presse est très largement en sur-capacité, bien qu'une deuxième "salle café" ait été ouverte en urgence pour la presse.
"Nous avons du trouver un compromis." a-t-il conclu.
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