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L'Histoire des échecs | Des origines à Magnus Carlsen
Un retour succinct sur l'Histoire des échecs à travers tous les âges.

L'Histoire des échecs | Des origines à Magnus Carlsen

ColinStapczynski
| 48 | Pour les débutants

L'Histoire du roi des jeux jouit d'une richesse infinie dont l'Inde fut le berceau d'une longue mue, bouleversée au XIXe siècle, où pendules et standardisation des pièces donnèrent aux échecs leur tournure moderne.

C'est à cette période que le premier titre de champion du monde fut décerné mais ce n'est qu'au début du siècle suivant que différents styles de jeu émergèrent. Les grands tournois, les matchs épiques de Championnat du Monde et la théorie des ouvertures telle que nous la connaissons n'ont véritablement évolué qu'à partir du milieu du XXe avant que les moteurs d'analyses et autres bases de données ne pointent enfin le bout de leurs pixels.

(Re)découvrez l'Histoire des échecs !


Voici le sommaire :


L'origine des échecs

Les échecs sont nés du jeu indien chaturanga avant les années 600 de notre ère. Il a fallu attendre la fin des années 1500 pour qu'il atteigne l'Europe de l'Ouest où il s'est peu à peu transformer en la version qui est dorénavant la notre. L'un des premiers maîtres du jeu fut un prêtre espagnol nommé Ruy Lopez et bien qu'il n'ait pas inventé l'ouverture qui porte son nom, il l'a analysée dans un livre publié en 1561. La théorie était alors si primitive qu'il prônait comme plus habile des stratégies de faire jouer son adversaire avec le soleil dans les yeux !

History of chess Chaturanga board

Un échiquier Chaturanga antique avec ses pièces

La théorie et son développement durant le 19ème siècle

La théorie a avancé à un rythme d'escargot jusqu'au milieu du 18ème siècle. En 1749, le Maître français François-André Philidor changea de braquet avec son livre intitulé Analyse du jeu d'échecs. Cet ouvrage couvrait quelques nouvelles idées d'ouverture (y compris la défense qui porte toujours son nom), et révélait également la célèbre position de Philidor - technique de défense en finale de tours encore utilisée aujourd'hui. C'est également dans cette oeuvre qu'est répertoriée pour la première fois sa fameuse citation : "Les pions sont l'âme des échecs".

Notre jeu a continué à gagner en popularité dans le monde entier, et au milieu du 19ème siècle, a eu lieu une uniformisation des pièces et des échiquiers, jusqu'alors très hétéroclites. En 1849, Jaques de Londres introduit un nouveau style de pièces créées par Nathaniel Cook et approuvées par Howard Staunton. Cette innovation, connue sous le nom de motif Staunton, a immédiatement suscité l'enthousiasme au point d'être adoptée partout dans le monde. Les pièces de Staunton, malgré quelques variations mineures, sont toujours considérées comme la norme pour les tournois.

history of chess Jaques Staunton set
Un des premiers jeux de Jaques Staunton. | Courtesy of Chess.com member, GoodKnightMike

Le 19ème siècle a également marqué l'introduction des pendules spécifiques au jeu de compétition. Avant cela, une simple partie pouvait durer jusqu'à 14 heures !

Les échecs se développaient donc considérablement au cours des années 1800. Les parties les plus célèbres de l'époque forment un recueil d'attaques à couteaux tirés - les considérations défensives étant alors superflues. Si un joueur ne sacrifiait pas ses pièces à droite et à gauche pour essayer de mater son adversaire d'une manière violente, il devenait sujet à quolibets ! C'est au cours de cette période sanglante sur l'échiquier que le joueur américain Paul Morphy est entré en scène.

history of chess Paul Morphy
Paul Morphy, l'incarnation du jeu romantique et agressif.

Morphy était l'incarnation de toutes ces idées d'attaque autant romantiques qu'agressives. Au cours de sa tournée en Europe, il a mis au supplice tous les meilleurs joueurs du monde, à l'exception d'Howard Staunton (qui n'était plus dans la fleur de l'âge et qui a refusé son défi). Adolf Anderssen, Louis Paulsen, Daniel Harrwitz, et une ribambelle d'autres maîtres comptent parmi ses victimes.

En 1858, la célèbre partie de l'Opéra, considérée comme l'une des meilleures de tous les temps a été jouée par Morphy contre les alliés (le duc de Brunswick et un comte français), Le maestro envoya tout ce qu'il put à la figure de ses adversaires lors d'une démolition restée dans les annales !

Les premiers champions du monde et l'avènement du jeu positionnel

Wilhelm Steinitz n'a jamais affronté Morphy, malheureusement retiré de la scène internationale au moment où lui y fit ses premiers pas. L'apport de Steinitz à la théorie est encore largement d'actualité, comme était reconnu son dédain pour le jeu agressif. Il préférait accepter un pion généreusement gambité, puis fermer la position afin de grignoter la victoire, tronçon après tronçon. Il n'avait, à ses débuts, pas d'égal dans ce type de jeu positionnel qui lui permit de devenir le premier champion du monde officiel en 1886.

history of chess Wilhelm Steinitz
Wilhelm Steinitz, le premier champion du monde officiel

Steinitz a conservé son titre jusqu'en 1894, date à laquelle Emanuel Lasker l'a battu avec brio (10-5). Leur revanche, trois ans plus tard, fut encore plus déséquilibrée, Lasker signant 10 victoires pour seulement 2 défaites, Il parvint à régner pendant 27 ans, de loin la plus longue hégémonie de l'Histoire des échecs.

Le jeu positionnel, dont Steinitz et Lasker furent les précurseurs, a ensuite fait de nombreux émules. La ligne conductrice jusqu'aux alentours des années 1920 était de s'emparer du centre - le plus souvent avec les pions - durant l'ouverture. Les débuts les plus courants étaient la Ruy Lopez, le Giuoco Piano, le Gambit dame, la Défense française et la Partie des 4 cavaliers, ouvertures relativement calmes à partir desquelles les deux camps essaient lentement d'accumuler de petits avantages, tels qu'un surplus d'espace, des avant-postes clés, de belles diagonales et des colonnes ouvertes.

History of Chess Lasker
Emanuel Lasker, le second champion du monde

Jose Raul Capablanca a battu Lasker en 1921, ce qui fit de lui le troisième champion du monde. Son style est toujours considéré comme l'un des plus fluides de l'Histoire en terme de maîtrise positionnelle. Il avait tendance à éviter les situations trop tactiques et/ou complexes pour tenter d'obtenir un avantage apparemment minime qu'il convertissait en finale - grâce à sa technique, d'une brillance absolue. Même aujourd'hui, les meilleurs moteurs d'analyse ne trouvent que très peu d'imprécisions dans cet aspect de son jeu et bien qu'il n'ait été champion du monde que pendant 6 ans, Capablanca est considéré comme l'un des plus grands joueurs de tous les temps.

History of Chess Capablanca
Jose Raul Capblanca, le troisième champion du monde.

Dans les années 1920, une nouvelle école de pensée s'est introduite dans les échecs de haut niveau : l'hypermodernisme. L'idée principale est de contrôler le centre avec des pièces mineures au lieu de simplement l'occuper avec des pions. Cette nouvelle approche a été mise en évidence dans les parties d'une nouvelle génération de grands talents tels que Aron Nimzovich, Efim Bogolyubov, Richard Reti et Ernst Grunfeld. Dans cette période, de nouveaux schémas et ouvertures ont émergé et pris le relais comme la Défense Indienne, la Grunfeld, et la Benoni.

La plus hypermoderne de toutes les ouvertures est peut-être la Défense Alekhine (du nom du quatrième champion du monde, Alexander Alekhine). Son objectif est d'inviter les blancs à avancer leurs pions centraux, puis de contre-attaquer en ciblant ce centre proéminent. Aujourd'hui, Alekhine est davantage vu comme le premier joueur au style dynamique - il pouvait aussi bien jouer de manière extrêmement tactique et agressive, que de façon calme et positionnelle. Il a monopolisé le titre de champion du monde de 1927 à 1935, année de sa défaite contre Max Euwe, avant de remporter le match retour en 1937 et de conserver ses lauriers jusqu'à sa mort en 1946. Il est le seul champion du monde à les emporter jusque dans sa tombe.

History of Chess Alekhine
Alexander Alekhine, le quatrième champion du monde

La domination soviétique au 20ème siècle

De 1927 à 2006, les joueurs de l'Union soviétique et de Russie ont raflé tous les titres de champion du monde (à deux exceptions près). Alekhine, Mikhail Botvinnik, Vassily Smyslov, Mikhail Tal, Tigran Petrosian, Boris Spassky, Anatoly Karpov, Garry Kasparov et Vladimir Kramnik sont les géants des échecs, contributeurs de cette hégémonie étirée du 20ème siècle au début du 21ème. Les styles de ces joueurs légendaires ne pourraient pourtant pas être plus différents. De l'esthétisme positionnel (Karpov, Petrosian, Smyslov, Kramnik), à la créativité extraordinaire de Tal, en passant par le dynamisme furieux d'Alekhine, Botvinnik et Kasparov - il y en avait pour tous les goûts !  

Après le décès d'Alekhine, Mikhaïl Botvinnik s'est emparé de la couronne mondiale en 1948, événement remarquable car pour la première fois, la FIDE supervisait le championnat du monde (ce qu'elle fait encore aujourd'hui), mais aussi en raison du nouveau format (un système de quintuple matchs a été utilisé en l'absence du champion en titre). Botvinnik est parvenu à conserver son titre jusqu'en 1963 (avec deux interruptions d'une année).  

History of Chess Botvinnik
Mikhail Botvinnik le sixième champion du monde.

Botvinnik était connu pour sa logique de fer et ses capacités dynamiques, étant capable de changer de style presque comme un caméléon selon qui était son adversaire. Il a perdu son titre au profit de Vassily Smyslov en 1957, mais a pu  - selon les règles d'alors - obtenir une revanche l'année suivante. En 1958, il vengea l'affront et reconquis sa couronne avant de la reperdre en 1960 face à Mikhail Tal. Toutefois, il parvint de nouveau à reprendre son dû lors du match retour en 1961. Ce n'est qu'en 1963, après s'être incliné contre Tigran Petrosian qu'il ne put profiter de cet ultime recours après que la FIDE ait changé son règlement. 

Outre son long règne sur la scène internationale, Botvinnik fut peut-être l'entraîneur d'échecs le plus loué de tous les temps. Il a formé trois futurs champions du monde (Karpov, Kasparov et Kramnik), un exploit jamais égalé. Brillant informaticien, il jouit aussi du statut de père fondateur des échecs par ordinateur.

Tigran Petrosian est le 9ème inscrit sur la liste des champions du monde, après sa victoire sur Botvinnik en 1963. Il s'exprimait dans un style positionnel, caractérisé par ses merveilleux sacrifices de qualité. Il a défendu son titre avec succès face à Boris Spassky en 1966. avant de lui faire face de nouveau trois années plus tard après la victoire de ce dernier dans le cycle des candidats. En 1969, Spassky détrôna Petrosian et devint ainsi le 10e champion du monde, il a conservé son titre trois années durant avant son fameux match contre Bobby Fischer.

History of chess Bobby Fischer and Max Euwe
Bobby Fischer avec Max Euwe en 1972. | © Dutch National Archive.

Bobby Fischer incarne l'une des figures de notre jeu les plus énigmatiques de tous les temps. Il a été le joueur capable de faire tomber le mur soviétique dans la seconde moitié du 20ème siècle et de 1970 à 1972, rien ni personne ne semblait pouvoir stopper l'ascension de ce génie. En 1971, il a écrasé Mark Taimanov au premier tour des Candidats sur le score de 6 à 0, sans la moindre nulle. Quelques mois plus tard, il a infligé la même punition à Bent Larsen, cette série de 12 succès consécutifs contre des joueurs de l'élite demeure un exploit jamais approché depuis lors.

En 1972, Fischer et Spassky ont disputé un match qui a captivé le monde entier, au point d'être rebaptisé : match du siècle. Même les plus parfaits néophytes semblaient happés par le duel le plus attendu de tous les temps sur le plan échiquéen mais aussi lourd de grands enjeux géopolitiques. Les Etats-Unis et l'Union Soviétique luttaient non seulement au nom de la guerre froide mais également pour la suprématie du noble jeu. Fischer s'est révélé être un élément incontrôlable durant tout le match, il commença par perdre la première partie en prenant chichement un pion dans une finale de fous nulle qui lui coûta son unique pièce et la partie, puis refusa de jouer la seconde, mécontent des conditions de jeu. Spassky commençait donc cet affrontement avec deux points d'avance, poussant son adversaire d'entrée au bord du précipice. Le match qui se déroulait au meilleur des 24 parties a vu Fischer réaliser l'un des come back les plus marquants de l'Histoire, au point de s'imposer sur le score de 12,5 à 8,5. De nombreuses parties de ce match demeurent célèbres mais la sixième se démarque - Spassky lui-même ayant applaudi son adversaire après ce chef d'oeuvre qui le poussa à l'abandon :

Malheureusement pour l'histoire des échecs, Fischer refusa de défendre son titre trois ans plus tard. En raison de ses exigences apparemment ridicules, la FIDE n'a pas pu satisfaire ses demandes et il a été contraint d'abandonner sa couronne sans combattre. Fischer a ensuite disparu du monde des échecs, jusqu'en 1992 où il joua un match non-officiel avec son ancien rival, Boris Spassky. Après cet ultime succès, l'américain se retira définitivement de la scène échiquéenne - laissant dans son sillage plus de points d'interrogation que tout autre champion du monde.

Karpov, Kasparov, les ordinateurs et Carlsen

Anatoly Karpov est le 12e joueur de l'histoire à s'emparer du titre de champion du monde en 1975. Il est réputé pour son style positionnel - souvent assimilé à celui d'un boa constrictor - et sa technique fantastique. Retenons la déclaration de l'ancien champion du monde Viswanathan Anand pour décrire l'approche du jeu employée par Karpov "Il ne s'intéresse pas tellement à son propre plan, son unique objectif et de déjouer perpétuellement le vôtre". Karpov a régné pendant dix ans et a été extrêmement actif au plus haut niveau jusqu'en 1997 environ. À la fin de sa carrière, il a écrit plusieurs livres d'échecs, et s'est invité dans les hautes sphères de l'échiquier politique russe.

history of chess Karpov
Anatoly Karpov, le douzième champion du monde.

La domination de Karpov dans les années 1970 et 1980 n'a pris fin qu'à l'émergence d'un autre K, Garry Kasparov. En 1984, le premier des cinq matchs de championnat du monde Karpov-Kasparov a eu lieu. Ces deux légendes des échecs ont joué un total de 144 parties pour le titre mondial, 104 se sont soldées par la nulle, 21 par une victoire de Kasparov et 19 par une victoire de Karpov. Malgré ce score incroyablement serré entre les deux hommes, Kasparov a remporté l'intégralité de leurs matchs.

Kasparov a régné pendant 15 années, sa longévité se classe en second derrière Lasker et ses 27 ans au sommet. En raison de l'évolution de la théorie entre ces deux périodes et d'une bien plus forte opposition, la domination de Kasparov est au moins aussi remarquable. Il est resté un cran au dessus de ses rivaux de classe mondiale jusqu'à être détrôné par Vladimir Kramnik en 2000. Kasparov était pourtant à son apogée au moment du match mais le style de Kramnik l'a semble-t-il éteint. Il est néanmoins resté le joueur le mieux classé au monde jusqu'en 2005, devenant même le premier à franchir la barre mythique des 2800 Elo.

History of chess Kasparov

Garry Kasparov, le treizième champion du monde.

Kasparov a été le premier grand joueur à utiliser massivement les ordinateurs pour la préparation et l'analyse des parties. Il a battu les machines les plus puissantes de la fin des années 1980 et du début des années 1990 dans plusieurs matches très médiatisés avant d'être finalement vaincu par le supercalculateur Deep Blue en 1997, première fois qu'un ordinateur dominait un champion du monde. Il a toujours soutenu la théorie d'une collusion humaine (quant à la sélection des bons coups aux moments cruciaux) pour justifier sa défaite. Deep Blue a été démantelé par la suite. À la fin de sa carrière, Kasparov a écrit plusieurs livres fantastiques sur les échecs (y compris son merveilleux ouvrage en plusieurs volumes My great predecessors), et s'est impliqué dans la politique russe.  Il a récemment réalisé la série Master Class sur les échecs, qu'il a évoquée dans cette interview exclusive sur chess.com :

En 2005, les ordinateurs sont devenus trop puissants pour que n'importe quelle intelligence humaine puisse lutter à armes égales. L'apparition du super ordinateur Hydra, qui a facilement battu Michael Adams, classé septième mondial à l'époque (avec le élo de 2737) sur le score de 5.5 à 0.5 a caractérisé ce basculement. Aujourd'hui, les ordinateurs les plus puissants participent à leurs propres championnats du monde, et le champion actuel est Komodo. Si Komodo devait être équipé avec des spécifications matérielles ajustées, il battrait assurément Magnus Carlsen dans un match. 

History of chess Magnus Carlsen
Magnus Carlsen au tournoi de Isle of Man (2017). | Photo: © Maria Emelianova/Chess.com

Les hommes deviennent malgré tout de plus en plus forts grâce à l'aide des ordinateurs pour analyser, rechercher et innover dans les ouvertures. De nos jours, presque tous les joueurs d'échecs utilisent des moteurs d'analyse, y compris évidemment l'actuel champion du monde Magnus Carlsen. Ce dernier a remporté les 4 derniers tournois auxquels il a participé et n'a pas perdu une seule partie classique en 2019. Champion du monde depuis 2013, il continue de dominer aujourd'hui la scène internationale. Il détient le pic élo le plus élevé de l'histoire, avec 2882 (atteint en 2014), et est actuellement classé 2875 en classique, 2895 en rapide et 2922 en blitz. Nombreux sont ceux à déjà le considérer comme le joueur le plus fort de tous les temps.

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